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Publié par FGTA FO

Retrouvez le dossier complet du FGTA-FO Magazine n°123 Ici

France, pays des paradoxes ? Si le taux de chômage a nettement diminué ces dernières années (7,3 % au deuxième trimestre 2022, contre 10,5 % en 2015), le pays compte encore actuellement 5 152 000 personnes inscrites à Pôle Emploi (près de 3 millions en catégories A – sans emploi -, les autres en catégories B et C – activité réduite).

D’un autre côté, d‘après les derniers chiffres de la Dares (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques), le nombre d’emplois vacants en France (c’est-à-dire le nombre de postes libres pour lesquels des démarches actives sont entreprises pour trouver le candidat convenable) s’élevait à 368 100 au 1er trimestre 2022, soit une hausse de 75 % par rapport au 4e trimestre 2019. En juin, 58 % des entreprises interrogées étaient concernées par le sujet, selon la Banque de France. Il y a un an, le niveau était à 37 %.

Alors la question pourrait se poser : Pourquoi les demandeurs d’emploi ne se précipitent-ils pas sur ces postes à pourvoir ? Question simple… Mais réponse complexe. Car les raisons sont multiples, cumulatives… à la fois socio-économiques, psychologiques et conjoncturelles.

  1. Pour rapprocher les deux problématiques (chômage important d’une part et manque de main-d’œuvre d’autre part), il faudrait d’abord que les chômeurs et les postes se trouvent dans le même environnement, un lieu proche, une même région… C’est rarement le cas : les demandeurs d’emploi sont disséminés dans toute la France et la grande majorité des postes à pourvoir (environ 80 %) sont localisés dans les grandes métropoles urbaines.
  2. Il faudrait surtout que les métiers proposés soient attractifs en termes de salaires et de conditions de travail. Dans leur rapport, la Dares et Pôle emploi identifiaient alors deux causes majeures: la précarité de l’emploi et les conditions de travail. Effectivement, les secteurs où la main-d’œuvre vient à manquer sont essentiellement composés de métiers peu attractifs : car ce sont souvent les conditions de travail qui découragent les demandeurs d’emploi :
  • La pénibilité des tâches : port de charges lourdes, bruit, travail répétitif, postures pénibles, exposition à des agents chimiques.
  • Les difficultés psychosociales : travail dans l’urgence, tensions avec la hiérarchie, la clientèle, les collègues…
  • Les contraintes horaires : heures de travail changeantes, coupures importantes, travail de nuit, travail le week-end…
  • La politique salariale de l’employeur et la gestion des ressources humaines : négociations difficiles ou bloquées, management tyrannique, environnement dégradé, sans oublier l’image globale de l’entreprise…
  1. Il faudrait aussi que ces métiers soient assez pérennes pour justifier un déménagement, qu’ils soient compatibles avec les nécessités familiales. Il faudrait également tenir compte des qualifications, de l’antériorité dans les métiers, de la formation… Tout métier s’acquiert, et cela prend des mois ou des années !
  2. Un autre critère entre en ligne de compte : environ un million d’emplois ont été créés et pourvus depuis 2019, or le nombre d’actifs, en poste ou en recherche d’emploi est resté stable en France depuis 2017, avec pour conséquence un manque de réserve de main-d’œuvre. L’immigration économique serait-elle une solution ? Pas dans les faits : la grande majorité des immigrés récents ne sont pas « employables » à court terme, et les employeurs traînent des pieds, invoquant des problèmes de langue ou de formation. Des tentatives ont eu lieu cet été, avec notamment la mise en place dans l’hôtellerie restauration d’une campagne de recrutement de travailleurs saisonniers en Tunisie via une plateforme créée par la profession, HCR Emploi. Mais la solution migratoire et le travail détaché utilisés dans certains secteurs posent la question du dumping social et des conditions d’accueil.

La « Grande démission » : les jeunes en quête de bien-être au travail

  1. On peut aussi déceler une autre raison à cette grande pénurie de main-d’œuvre : ce qu’on appelle la « quête de sens ». La crise sanitaire a joué un rôle moteur dans la « Grande démission », réalité majeure outre-Atlantique et en phase ascendante chez nous. Un nombre élevé de travailleurs ont choisi une réorientation radicale, quittant des métiers pénibles et mal rémunérés. Fin 2021 et début 2022, le nombre de démissions a atteint un niveau historiquement haut : 520 000 par trimestre, dont 470 000 démissions de CDI (Dares).

Selon un sondage de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail, 43 % des actifs envisagent de quitter leur emploi dans les deux ans pour un travail qui a plus de sens.

Ce phénomène touche principalement les jeunes actifs. Pour eux, le salaire n’est plus la motivation principale, leur priorité serait plutôt le bien-être au travail.

Où sont passés ces salariés ? Après avoir démissionné, ils ont pour la plupart retrouvé des emplois plus conformes à leurs aspirations… dans la grande distribution, la logistique, ou d’autres univers professionnels plus en phase avec leur vision de la société et du travail. Les chiffres sont parlants : le nombre de moins de 25 ans en recherche d’emploi a baissé de 22,8 % depuis un an ! Et l’on a vu que les emplois salariés ne sont pas pour eux le seul vivier professionnel : nombreux sont ceux qui ont choisi de se lancer, de se mettre à leur compte en « free-lance », comme autoentrepreneurs, de créer une entreprise ou une activité qui « matche » avec leurs valeurs, leurs aspirations…

  1. Autres causes qui expliquent l’explosion du nombre d’emplois vacants :
  • L’inadéquation entre les formations proposées et les besoins réels du marché du travail
  • Le nombre important de départs à la retraite (800 000 par an)
  • La forte augmentation du coût du carburant qui, dans les zones rurales, rend souvent l’emploi moins « payant » que le chômage.

Et c’est sans doute pourquoi, dans les entreprises, face à l’ensemble de ces problématiques de pénurie, le rapport de force entre employeurs et postulants a tendance à changer. Bien souvent désormais, ce sont les jeunes en recherche d’emploi qui réussissent à imposer leurs conditions aux recruteurs, exigeant notamment un équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle et familiale. « C’est à prendre ou à laisser, vous n’êtes pas la seule entreprise à embaucher sur le marché et dans la région ! » Une injonction inimaginable il y a à peine deux ans.

Développer l’attractivité des métiers

Les difficultés de recrutement que connaissent les entreprises ont largement animé les débats politiques et médiatiques de l’été. La FGTA-FO, qui déplore le manque d’avancées pour l’amélioration des garanties et des salaires lors des négociations en branche professionnelle depuis de nombreuses années, n’a eu de cesse d’avertir les délégations employeurs : « Si vous voulez les bonnes réponses à vos problèmes de recrutement, posez-vous les bonnes questions ». L’amélioration du statut des salariés est la clé de voûte de la pérennité des secteurs professionnels.

Lors des débats à l’Assemblée nationale, plusieurs députés, dont des élus de la majorité, ont avancé le fait qu’augmenter les salaires allait créer une spirale inflationniste qui, in fine, serait néfaste pour le pouvoir d’achat des salariés. À l’heure où les ménages souffrent déjà d’une inflation record, cette politique de l’offre n’apporte aucune solution concrète à la pénurie de main-d’œuvre qui est aujourd’hui le principal frein à la croissance en France alors que le chômage demeure élevé. Aussi, dans un contexte où les profits sont largement redistribués sous forme de dividendes (et où le taux d’investissement ne suit pas), la Banque de France n’observe aucune spirale prix-salaires malgré une hausse des rémunérations (âprement négociée), et annonce que l’inflation devrait revenir à un niveau moins élevé en 2024. Il est temps pour les employeurs et l’État de prêter une oreille attentive aux revendications de notre Fédération afin de développer l’attractivité des métiers.

Selon le gouvernement, pour atteindre le plein-emploi, la solution serait de valoriser le travail en durcissant les conditions d’accès aux aides sociales, comme l’illustre notamment la réforme de l’Assurance chômage (il faut par exemple avoir travaillé six mois au cours des 24 derniers mois, et non plus quatre, pour ouvrir des droits à une allocation-chômage) ou bien encore le projet de conditionnement de l’obtention du RSA à l’obligation de consacrer 15 à 20 heures par semaine à une activité. La FGTA-FO et la Confédération FO dénoncent ces politiques, qui visent à faire des économies sur le dos des demandeurs d’emploi et créent de la précarité.

Pour la FGTA-FO, il faut valoriser le travail et non dévaloriser les chômeurs. Il est nécessaire d’être à l’écoute des attentes et des besoins des salariés pour développer l’attractivité des métiers et assurer la pérennité des secteurs professionnels.

Le FGTA-FO Magazine a interrogé les membres du Bureau fédéral pour recueillir leurs constats sur la crise du recrutement dans les branches dont ils ont la charge, et les pistes qu’ils envisagent pour y remédier.

La parole à notre secrétaires fédéral

Alain Wanègue – Agroalimentaire

« Dans le secteur laitier, la pénurie de main-d’œuvre vire à la catastrophe. Il existe de fortes tensions sur certains métiers comme les électromécaniciens par exemple. Les entreprises sont obligées de leur proposer des rémunérations hors grille pour les attirer.

Dans ce secteur, l’activité est continue puisque les vaches produisent du lait chaque jour. Cette dépendance au cycle naturel de production entraîne une organisation qui constitue l’une des grandes raisons du manque d’attrait pour les métiers : travail du week-end, rotations, travail de nuit.

Des efforts ont été engagés pour améliorer la conciliation entre vie privée et vie professionnelle, avec notamment le déploiement des deux 12, c’est-à-dire que des salariés volontaires travaillent 12 heures le samedi et 12 heures le dimanche, afin de libérer le planning des autres salariés. Toutefois, cette organisation, qui ne date pas d’hier, n’est pas la panacée.

Des accords QVT sont négociés pour mieux coller aux aspirations des salariés mais, dans un contexte de sous-effectif, la marge de manœuvre est limitée. Dans certaines entreprises, des lignes sont arrêtées faute de bras. La surcharge de travail affecte les salariés en poste, augmente les arrêts de travail, dégrade l’image des métiers et pèse sur l’attractivité. La baisse du CA diminue les moyens que les entreprises pourraient allouer à d’éventuelles embauches, bref, nous sommes dans un cercle vicieux. Le phénomène dit de la « grande démission » doit faire réagir les employeurs. Désormais, ce sont les salariés qui peuvent imposer leurs conditions aux entreprises.

Par ailleurs, l’absence de prise en charge des frais de transport pèse lourdement sur le budget des ménages en zone rurale, là où sont situées les laiteries. C’est une des pistes à creuser. »

Dossier réalisés par Olivier Grenot et Alexandre Rault, service communication

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