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Publié par EDITIONS LEGISLATIVES

Ce ne sont certes que des ordonnances de référé, mais elles sonnent comme un avertissement pour les employeurs qui négligent de consulter et d'informer correctement les élus sur les orientations stratégiques. Le TGI de Nanterre suspend la consultation sur la cession d'une société de Free, Mobipel, et il suspend le plan de sauvegarde de l'emploi de Coca Cola. Explications.

La consultation sur les orientations stratégiques vise à ce que le CE ou le CSE puisse rendre tous les ans un avis éclairé sur les orientations stratégiques de l'entreprise, et sur leurs conséquences sur l'activité, l'emploi, l'évolution des métiers et des compétences, l'organisation du travail, le recours à la sous-traitance, à l'intérim, sans oublier la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (art. L.2312-24 du code du travail).

A l'origine, l'idée était d'anticiper les évolutions et mutations grâce au dialogue social, suite à l'accord interprofessionnel national de 2013. Dans son exposé des motifs, la loi de sécurisation de l'emploi de juin 2013, qui inaugurait aussi les délais préfix et la négociation des plans sociaux, évoquait l'idée de "mieux anticiper, pouvoir s'adapter plus tôt, plus rapidement, dans la sécurité juridique", mais en le faisant "de façon négociée, pour préserver l'emploi et au moyen de nouveaux droits pour le salarié, individuels et collectifs". La consultation stratégique, avec le nouvel outil de la base de données économiques et sociales (BDES), un nouveau cas de recours à l'expertise et la possibilité pour les élus d'émettre des contre-propositions, était l'un de ces nouveaux droits, repris dans la loi Rebsamen de 2015 et les ordonnances Macron de 2017-2018.

Les juges s'en mêlent

Cinq ans après la loi, et alors que les entreprises sont encore loin de toutes s'être mises en conformité avec l'exigence de mise en place d'une BDES conforme, voici que la jurisprudence pose des questions essentielles sur cette consultation et sur son outil : que peut-on y inclure ? Faut-il comprendre qu'une entreprise ne peut pas mettre en oeuvre un projet important s'il n'a pas été évoqué lors de cette consultation ?

La semaine dernière, nous évoquions la déception des élus et de l'avocat du CCE de Natixis à propos d'un arrêt du 3 mai de la cour d'appel de Paris. Les juges refusaient de considérer que la direction aurait dû aborder, à l'occasion de la consultation sur les orientations stratégiques du CCE, un projet concernant les activités informatiques, projet qui a fait l'objet, quelques mois plus tard, d'une consultation ponctuelle (notre article). Est-ce à dire qu'il n'est nul besoin d'évoquer, préalablement à sa consultation ponctuelle avant sa mise en oeuvre, un projet important lors de la consultation des orientations stratégiques ?  Pas du tout, répondent deux jugements datant de fin mai, qui vont cette fois dans un sens favorable à la prise en compte de l'intérêt des salariés et de leurs représentants. Attention toutefois ! Il s'agit de décisions d'un tribunal de première instance, le TGI de Nanterre, et de plus en référé, une procédure spécifique d'urgence qui ne tranche donc pas le litige sur le fond mais qui permet de prendre des mesures immédiates jugées évidentes et nécessaires.

Ces deux affaires concernent rien moins que les entreprises Free (via la société Mobipel, une des sociétés de l'union économique et sociale coiffée par la maison mère Illiad) et Coca Cola.

Cession suspendue tant que la consultation sur les orientations stratégiques n'a pas eu lieu

Dans le cas de Mobipel, le TGI accède dans son ordonnance du 28 mai à la demande du comité d'entreprise (lire en pièce jointe). Il suspend la procédure de consultation sur le projet de cession de la société Mobipel jusqu'à la fin de la consultation sur les orientations stratégiques 2018. Le tribunal estime avérée "l'existence d'un trouble manifestement illicite résultant du défaut d'information-consultations sur les orientations stratégiques 2018 du comité d'établissement de la société Mobipel".

L’entreprise a tenté d’avancer qu’il n’existait aucune obligation légale de faire précéder une consultation ponctuelle, sur un projet de cession, de la consultation annuelle sur les orientations stratégiques. Et, qu’en outre, c’était du fait "de la résistance des instances représentatives" que la consultation sur les orientations stratégiques 2017 n’avait pu s’achever qu’en mars 2018, "alors que la procédure de consultation sur le projet de cession était déjà en cours et qu’ainsi, ce projet a été évoqué dans les orientations stratégiques 2017 et que son évocation pour les orientations stratégiques 2018 sera sans effet utile". Mais l’ordonnance réfute cette lecture :  tout d’abord, le projet de cession constitue "un changement significatif  de la stratégie d’internalisation des services du groupe Illiad" (la maison mère de free). Ensuite, dit le juge, il est contradictoire de soutenir, comme le fait l’entreprise, que le projet de cession a été évoqué dans l’information consultation sur les orientations stratégiques 2017 alors même qu’elle prétend que ce projet n’était alors pas envisagé.

PSE suspendu dans le cas de Coca Cola

Dans le cas de Coca Cola, le TGI, dans son ordonnance du 30 mai, suspend la procédure de PSE (plan de sauvegarde de l’emploi) " tant que la consultation sur les orientations stratégiques 2017 n’aura pas été achevée, ce sous astreinte de 10 000€ par infraction constatée". Le tribunal juge que le CCE de la SAS Coca Cola Européen Partner (CCEP) ne dispose pas d’un accès aux données prévisionnelles chiffrées ou sous forme de grandes tendances que l’entreprise doit mettre à sa disposition dans le cadre de la consultation annuelle sur les orientations stratégiques. En conséquence, dit le juge, "le délai de consultation n’a pas commencé à courir". L’entreprise se voit donc ordonner d’établir et de mettre à disposition des membres du CCE, sous astreinte de 5 000€ par jour de retard, une base de données économiques et sociales conforme, "comportant notamment les données prévisionnelles pour chaque rubrique des années 2017, 2018, 2019".

La BDES de Coca Cola jugée lacunaire

Pour motiver sa décision, le juge cite tout le contenu que l’employeur doit faire figurer dans la base de données économiques et sociales, qui sert de support à la consultation sur les orientations stratégiques. Le TGI en déduit que Coca Cola "n’a pas entendu communiquer les grandes tendances sur la période triennale à venir, ce en violation des dispositions prévues à l’article R.2323-15". Le juge estime donc l’information de la BDES lacunaire, et sa motivation est très détaillée :  "Le document d’information met en avant la nécessité de recentrer les efforts commerciaux sur les boissons plates non sucrées : il est taisant sur les informations prévisionnelles chiffrées sur les chiffres d’affaires et le taux de marge de chaque produit. Il ne donne aucune information chiffrée prévisionnelle sur les réseaux de distribution nécessairement impactés".

En préalable, le juge a pris soin de résumer la lettre et l’esprit de la consultation sur les orientations stratégiques : "Cette consultation est censée permettre un dialogue entre le comité et l’organe chargé de l’administration ou de la surveillance de l’entreprise, afin d’une part d’assurer la prise en compte des intérêts des salariés dans la définition de cette stratégie, mais aussi de les informer des options stratégiques choisies, condition nécessaire selon les partenaires sociaux à leur adhésion aux projets économiques". Nul doute que l’employeur, s’il fait appel de ce référé, contestera cette définition...

Bernard Domergue
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